Un grand écrivain russe : Evgueni Zamiatine (1884-1937)
« Dans les autres pays, on admire les écrivains, chez nous, on
leur casse la gueule ». Evgueni Zamiatine sait de quoi il parle: après
avoir tâté de la geôle tsariste, il fut également emprisonné par ses amis
bolcheviques ! Les blancs comme les rouges ne lui pardonnaient pas d’être
un écrivain libre, truculent et caustique!
A la lecture du superbe Au diable Vauvert, on comprend que les
censeurs apprécièrent moyennement ce
frère de Gogol à la plume alerte et dévastatrice. Dans cette histoire, mi
loufoque, mi tragique, des officiers russes, confinés dans une garnison du bout
du monde, tuent le temps en se livrant à d’invraisemblables jeux et banquets.
Le héros qui se retrouve précipité dans cet univers brindezingue aura du mal à
se faire accepter, connaîtra l’amour, la peur et le désenchantement.
Louons les éditions Verdier de
publier ce récit (suivi d’Alatyr, du
même acabit), dans une traduction magnifique. Car ce qui impressionne au
premier chef chez Zamiatine, c’est un style inimitable : une savoureuse
restitution du langage oral, une science achevée de la musique et du rythme, des
images follement originales : « La
paume d’ Andreï Ivanytch s’enfonça dans une espèce de blanc-manger, dans la
gelée de fécule dont étaient faites les joues flasques de Glousliaïkine.
C’était répugnant : il en avait la main toute barbouillée »
Et un immense talent pour camper
d’un trait un personnage : « Il
y a en chaque homme un trait qui, au premier coup d’œil, le distingue de mille
autres. Chez Andreï Ivanytch, c’était un front large et vaste comme la steppe. »
Editions Verdier, 12, 50 euros.