Un livre à découvrir d’urgence….
La solitude du coupeur de nattes.
de Jean Pierre KELLER
Notre « héros » est en
effet atteint d’une perversion hors du commun. Adepte d’un fétichisme d’un
genre particulier, il est taraudé par une obsession unique : couper les
nattes qu’arborent fièrement les passantes aux cheveux longs, inconscientes du
danger. Pulsion irrépressible : « Les
nattes, serpent de la jungle urbaine. Ordre de les capturer. »
La coupe est rapide, efficace, discrète : il n’est pas rare que la victime innocente ne découvre la mutilation capillaire qu’ une fois le chasseur déjà loin. Mais l’excitation croît avec la prise de risque. Notre chasseur n’aime rien tant que les coupes sauvages dans les lieux publics (incroyable scène dans le métro à l’heure de pointe), et ne craint ni les ratés (il y en a) ni les courses-poursuites qu’occasionnent parfois ses forfaits commis au grand jour (le coupeur de nattes doit savoir courir très vite !!).
« Coupeur de nattes = chasseur archaïque. La ville est sa forêt. La rue est sa piste. La femme son gibier. La natte son trophée ». Trophée qui fait l’objet d’une attention méticuleuse et quotidienne. Classée (chaque natte volée a sa fiche, riche de détails et de précisions), soignée, sortie parfois pour des ébats délicieusement solitaires, au dernier étage d’un hôtel miteux du quartier Mouffetard.
D’étudiant glandeur et déprimé, notre héros se retrouve « Serial Cutter » poursuivi par la police parisienne, faisant même la une de la presse à sensations. Il trouvera l’aide providentielle de Valé(gé)rie, prêtresse intimidante de l’amour d’un nouveau type, maîtresse d’un dramaturge en vue, militante contre le pouvoir gaulliste.
« Coupeur de nattes = homme des temps nouveaux.Il épouse le rythme
de la métropole, en exprime la violence latente.» Jean-Pierre Keller
restitue parfaitement l’atmosphère du Paris du début des années 60 : la
guerre d’Algérie finissante, les ratonnades en plein Paris, les heures
glorieuses de Saint-Germain des Prés où l’on croise de jour comme de nuit
Sartre, Greco ou Adamov, où l’on assiste aux cours de Jankélévitch ou de
Raymond Aron. Une époque épique où l’imagination n’allait pas tarder à prendre
le pouvoir, où même les murs des WC font de la poésie : « Demandez un arsenic menthe pour
apaiser votre soif d’éternité (toilettes de l’Old Navy) ».
La solitude du coupeur de nattes, Jean-Pierre Keller, Editions Denoel,
15 euros.